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Fabienne Godet devant le cinéma angevin les 400 coups
Crédit: Sylvie Gratton
Fabienne Godet devant le cinéma angevin les 400 coups
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Fabienne Godet, DESS de Psychologie sociale (1989), réalisatrice

12 juin 2025 Portraits d’Alumni

À l’occasion de la sortie de sa première comédie Le Répondeur, Fabienne Godet revient, dans un entretien pour les Alumni UCO, sur son parcours singulier, l’impact de sa formation en psychologie sociale et les coulisses de ce nouveau film.

Le Répondeur met en scène Baptiste (Salif Cissé), un imitateur en quête de reconnaissance, qui accepte de devenir la voix téléphonique de Pierre (Denis Podalydès), un écrivain célèbre souhaitant se retirer du monde pour écrire. Mais en endossant ce rôle, ce double vocal finit par s'immiscer dans la vie de l'auteur, bouleversant ainsi leurs existences respectives.

 

Vous avez adapté Le Répondeur de Luc Blainvillain. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire un film ?


Ce qui m’a immédiatement frappée, c’est l’originalité du pitch : une personne paie quelqu’un pour répondre à sa place au téléphone… Je n’avais jamais vu ça, ni en comédie, ni ailleurs. Et c’est tellement actuel par rapport aux problématiques d’addiction aux écrans ! On est tous hyperconnectés, alors qu’on est souvent connectés à rien : coupés de nous-mêmes, du monde réel, du silence. Ce décalage entre connexion et isolement m’a tout de suite interpellée.

C’est aussi votre premier pas dans la comédie. Pourquoi ce changement de registre ?


C’est vrai, Le Répondeur est mon sixième long métrage, mais jusqu’à présent, j’ai surtout exploré le registre du drame. J’avais envie d’un nouveau défi, d’oser quelque chose de différent. Ce projet s’y prêtait parfaitement : le pitch est à la fois original et drôle — confier ses appels à quelqu’un d’autre pour voir ce que ça change dans sa vie. Cela m’a tout de suite parlé, notamment avec ma formation en psychosociologie.

Ce que j’ai lu entre les lignes, c’est la possibilité d’un vrai changement. Et c’est un thème qui me touche profondément, car changer — vraiment changer — est l’une des choses les plus difficiles qui soient. C’est ce que vit Pierre Chozène dans le film.

Sur le plan technique, Le Répondeur a aussi représenté un défi sonore majeur. Tout a été fait de façon artisanale, sans intelligence artificielle : un travail minutieux, syllabe par syllabe, pour fusionner les voix de Denis Podalydès et Salif Cissé. Nous avons collaboré avec des imitateurs talentueux comme Michaël Grégorio, Eklips ou encore Fabien Le Castel. C’était une vraie prise de risque… et j’aime ça.

 

Votre formation en psychologie sociale a-t-elle influencé le film ?


Complètement. Déléguer ses appels, c’est un geste anodin en apparence, mais qui ouvre ici la possibilité d’un changement. Pierre Chozène est prisonnier de ses relations et de son passé. En confiant cette part de lui-même à un autre, Baptiste, il s’autorise à changer. C’est un peu comme l’exercice des neuf points qu’on relie avec quatre lignes : il faut sortir du cadre pour voir autrement. Ce film raconte ce moment de bascule, grâce à l’ultra-solution de confier totalement sa vie à quelqu'un d'autre, et Baptiste va prendre des initiatives que Pierre Chozène aurait été incapable de prendre.

 

Baptiste, c’est un peu vous ?


Je suis bien Fabienne Godet (rires) ! Comme Baptiste, je suis une « transclasse » : j’ai dû cogner à des portes pour avancer dans un milieu qui n’est pas le mien. Fille de paysans, originaire d’Anjou, seule de ma classe de CM2 à avoir fait autant d’études, à être montée à Paris avec un rêve. J’ai dû avancer seule, sans éclats mais avec constance.
Mais je me retrouve aussi dans le personnage de Pierre Chozène sur le rapport au temps : j’ai 60 ans, et la question du choix de vie est devenue centrale. Chaque choix devient plus lourd de sens. La réplique du film « Il est toujours plus tard que vous ne le croyez » me touche profondément.

Par contre, à la différence de Chozène, je n’ai jamais été isolée : chez moi, c’était toujours quinze personnes à table et une maison toujours ouverte.

 

Le film met en scène une rencontre improbable entre deux mondes. Était-ce un enjeu pour vous ?


Oui. C’est un thème qui me tient à cœur. Dans Nos vies formidables, j’avais déjà montré que l’entraide dépasse les classes sociales. Ici, un intellectuel parisien va être bousculé par un acteur amateur issu d’un autre univers. Baptiste va aider Pierre Chozène à se réinventer, à revivre, à se reconnecter avec la vraie vie. C’est ça qui m’intéresse : l’humain avant le statut.

 

Et pour vous, comment dépasser ses propres blocages, sans l’intervention d’un double vocal comme Baptiste ?


Je crois beaucoup à la force de la rencontre. Parfois, une phrase dite au bon moment par un ami, un thérapeute ou un inconnu peut tout changer. On a besoin d’une rencontre : d’un regard, d’une écoute, d’une présence.
On est parfois englué dans son passé, dans le qu’en dira-t-on, dans la peur des conséquences… Baptiste, lui, s’en moque, et va permettre à Pierre Chozène de développer la meilleure version de lui-même.

 

Revenons à l’Université catholique de l'Ouest. Quels souvenirs gardez-vous de vos études ?


Beaucoup de gratitude. Des enseignants formidables ont marqué mon parcours. C’était une formation concrète, exigeante et humaine. On allait sur le terrain dès la première année. Cette proximité, cette bienveillance, m’ont aidée à croire en moi.
En parallèle de mes cours, je fréquentais quasiment tous les week-ends les stages d’analyses de films organisés aux 400 Coups par Claude-Eric Poiroux [NDLR : Alumni UCO, licence de lettres modernes (1969)]. J’ai suivi un itinéraire en psychologie sociale, tout en réalisant mes premiers courts-métrages.

 

Y a-t-il un film que vous pouvez revoir sans jamais vous lasser ?


L’Incompris de Comencini me bouleverse à chaque fois. The Thin Red Line de Terrence Malick, Le Parrain… je peux enchaîner les trois volets d’une traite.

Et j’admire Kubrick pour sa capacité à se renouveler à chaque film.

 

Un mot de la fin ?


Le Répondeur est toujours à l’affiche et va continuer sa route, avec des remakes prévus en Espagne, en Allemagne et en Italie. C’est une belle reconnaissance pour un film qui, je l’espère, touchera au cœur.

 

Entretien réalisé par Benjamin Izarn (DU Éthique, 2017) et Bérénice Velin (licence Information-communication, 2011), créatrice du podcast cinéma Le Canap’ de B’, avec l'aide de Julien Gautier (master de psychologie sociale, 2012). 




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